Psychologie. Tout
est-il bon dans la méditation ?
Un article paru dans Courrier international N°1437 de mai 2018,
https://www.courrierinternational.com/article/psychologie-tout-est-il-bon-dans-la-meditation
La méditation de
pleine conscience suscite un intérêt accru de la part du grand public comme des
chercheurs. Des études récentes montrent cependant qu’elle peut avoir des
effets néfastes inattendus.
Est-il temps de méditer sur la popularité de la méditation
“de pleine conscience” ? Carl Erik Fisher, professeur de psychiatrie clinique à
l’université de Columbia, pense que oui. En tant que psychothérapeute, il
intègre la méditation au suivi de ses patients, et il médite sur son temps
libre. Mais il craint que certaines pratiques à la mode, selon lesquelles le
salut passe par un esprit apaisé, sapent les véritables bienfaits de la
méditation. Selon des études récentes en psychologie, la méditation de pleine
conscience dessert parfois ceux qui la pratiquent.
“Exagérer les mérites de la pleine conscience peut laisser
entendre que nous devons tous être 100 % concentrés sur ce qui est devant nous
et que nos esprits doivent être débarrassés de toute forme d’apport extérieur
ou de pensée, explique le professeur. C’est une grave déformation. La pleine
conscience ne sous-entend pas l’éradication des pensées, quel que soit le
courant. Dans toutes les pratiques fondamentales [qu’elles soient religieuses],
laïques ou cliniques, il s’agit simplement de prêter attention au moment
présent… Il est peut-être nécessaire de préciser ce qu’on entend par pleine
conscience avant de plaquer ce terme sur toutes sortes d’affiches dans les
écoles et sur les lieux de travail.”
Chaque année, au moins un million de personnes commencent la
méditation aux États-Unis. “La vingtaine d’applications mobiles consacrées à la
pleine conscience montrent que ce concept pèse lourd dans le secteur de la
méditation, qui représente un milliard de dollars et concerne plus de 18
millions de personnes”, écrivent Willoughby Britton, directrice du Laboratoire
de neurosciences cliniques et affectives à l’université de Brown [Rhode
Island], et ses collègues dans un article paru l’année dernière [dans Plos One].
Des expériences
troublantes
Dans une étude publiée en 2014 [dans la revue à comité de
lecture Mindfulness], Tim Lomas, spécialiste de psychologie positive à
l’université d’East London, a conclu avec des collègues qu’un quart de leurs 30
sujets, tous des hommes, avaient vécu des crises troublantes – certains ont eu
des pensées et sentiments quasi ingérables, certains ont aggravé leur
dépression et leurs angoisses, d’autres sont devenus psychotiques. L’un d’eux,
un débutant, s’est essayé à une méthode avancée de déconstruction du soi : “Je
me suis effondré, j’ai fini par terre en sanglots, raconte-t-il. J’ai ressenti
une très forte impression de fugacité en l’absence de contexte, de positivité.
Cette terrible expérience du désespoir a été intense…”
Mais toutes les expériences négatives ne sont pas aussi
extrêmes. “En pratiquant la méditation de pleine conscience, explique un autre
homme, on se rend compte de certaines choses, jusqu’à réaliser ‘en fait, je
suis un peu une merde’.” Tim Lomas et ses collègues concluent que leur article
“soulève des questions essentielles sur la protection de ceux qui pratiquent la
méditation, que ce soit ou non dans un environnement thérapeutique”.
Dans leur article de 2017, Willoughby Britton et son équipe
ont voulu classer les expériences méditatives en un seul manuel, notamment afin
de souligner – au moyen d’une expression rappelant l’ouvrage fondateur de
William James sur l’expérience religieuse – les “variantes de l’expérience
contemplative”. Après s’être entretenus avec 60 bouddhistes qui enseignent ou
pratiquent la méditation – y compris des cliniciens dont les méthodes
thérapeutiques reposent sur la méditation – ils ont défini sept domaines.
Chacun comprend au moins cinq types de changements ressentis par les pratiquants.
S’y ajoute le pourcentage de sujets ayant ressenti ces changements. Leur
échantillon – 43 % de femmes, 57 % d’hommes, une moyenne d’âge de 48 ans – a
favorisé les expériences étranges et fortes.
Peur, angoisse,
panique ou paranoïa
“Afin de mieux comprendre les formes d’expérience qui ont
tendance à être négligées par la recherche scientifique, les études
universitaires et les médias, ont écrit les chercheurs, l’étude sur les
variantes de l’expérience contemplative examine délibérément des situations que
les sujets ont trouvé inattendues, difficiles, troublantes ou handicapantes.”
Dans le domaine cognitif, qui compte dix catégories, les
deux plus courantes sont “le changement de vision du monde” (48 %) et “les
croyances délirantes, irrationnelles ou paranormales” (47 %). Dans le domaine
perceptif, la catégorie la plus souvent citée est celle des “hallucinations,
visions ou illusions” (42 %). L’expérience la plus fréquemment mentionnée (82
%) relève du domaine affectif : “peur, angoisse, panique ou paranoïa”. Les
autres domaines sont le somatique (relatif aux sensations corporelles), le
conatif (motivation et comportement en vue d’atteindre des objectifs), la
perception de soi et le social. La moitié des personnes interrogées par
Willoughby Britton et ses collègues ont vécu “un changement des limites entre
[eux] et autrui, ou entre [eux] et le monde”, mais aussi des “troubles
sociaux”.
Ces expériences ne surprendraient pas les personnes qui
savent ce qu’il faut consentir pour devenir un arhat – personne méritante –
selon le courant bouddhique theravâda. Il faut suivre le “noble sentier
octuple” – la vision juste, l’action juste, l’effort juste, etc. Être vertueux
n’est pas l’objectif, c’est un prérequis, écrit Peter Harvey dans An
Introduction to Buddhist Ethics [non traduit en français]. “En s’appuyant sur
la vertu, fondement indispensable de tout progrès, une pratique méditative peut
être engagée. Si elle est effectuée correctement, l’esprit deviendra plus
calme, plus fort et plus clair.” Ces étapes créent un cercle vertueux. La
clarté et la tranquillité d’esprit contribuent à la vertu, bien agir sur la
durée contribue à la sagesse, et la qualité de la méditation s’en ressent.
Association avec la
psychiatrie et les neurosciences
Carl Erik Fisher a toujours eu du mal, “même sur le coussin
de méditation”, à s’approprier la notion de “l’effort juste”. “Est-ce que je
m’efforce au maximum de ne pas manquer une seule seconde ? Ou est-ce que je me
détends et laisse mon esprit vagabonder ?” interroge le professeur. Mais il ne
s’en inquiète plus trop et il sous-entend que c’est une erreur d’aller trop
loin dans un sens ou dans l’autre. “Il y a tout un éventail de réactions et on
les vit toutes au cours d’une session de méditation”, précise-t-il.
Après ses études, Carl Erik Fisher a eu l’occasion de faire
des retraites méditatives en Corée du Sud grâce à une bourse de la Fondation
Henry Luce. Cette expérience a été “inestimable” et a “fait germer l’idée d’une
association plus étroite de la méditation de pleine conscience et des
disciplines plus rigoureuses que sont la psychiatrie et les neurosciences”.
Malgré tout, il était sujet à des baisses de concentration pendant sa pratique.
“Je me reprochais ces moments d’inattention, je critiquais ma capacité à méditer,
je me disais que je souffrirais toujours. Ça m’est un peu passé.”
Étrangement, côtoyer des New-Yorkais ambitieux l’a aidé.
“Ils sont rarement complaisants. En général, ils sont trop sévères avec
eux-mêmes ! Sans vouloir appliquer mon expérience personnelle à tout le monde,
je vois de nombreux points communs avec mes patients à ce sujet.”
Article paru dans Courrier international N°1437 de mai 2018,
https://www.courrierinternational.com/article/psychologie-tout-est-il-bon-dans-la-meditation