Le règne des gourous médiatiques s'installe en Inde
Un article de Françoise Chipaux, ancienne correspondante du Monde sur le sous-continent indien, diffusé sur le site du CCMM et paru initialement dans le Monde du 12 avril 2006.
Assis sur un fauteuil posé sur un piédestal, habillé d’une robe de satin jaune, Nirmal Swami jauge d’un air satisfait les deux cents personnes qui se pressent à ses pieds. La cinquantaine chauve, il a abandonné ses mains aux massages des femmes et ses pieds à ceux de Maneka Gandhi, belle-fille de l’ex-premier ministre Indira Gandhi. Il est 21 heures dans cette villa d’un quartier huppé de New Delhi, et les visiteurs, la plupart issus de la haute bourgeoisie, attendent. Tenu par ses fidèles pour une incarnation de Shiva, le " gentil " dieu consolateur des affligés, Nirmal Swami reçoit les jeudi, vendredi et samedi. La séance dure de 21 heures à 2 heures du matin. Les élus appelés par lui à exposer leurs problèmes sont peu nombreux parmi ceux qui attendent, mais tous repartent illuminés, comblés.
" Le gourou n’a pas besoin de parler, il illumine par sa présence ", affirme Sanjiv Kakar, fidèle de Sri Ravi Shankar, fondateur de The Art of Living, qui revendique plus de vingt millions de fidèles à travers le monde. Consubstantielle de la civilisation hindoue, la spiritualité connaît un renouveau. " Le phénomène s’amplifie parce que notre engagement dans la modernité est très nouveau ", affirme Anand Kumar, professeur de sociologie à l’université Jawaharlal Nehru. " Pendant longtemps, les grandes villes indiennes étaient plutôt profanes, mais, maintenant, les gens, en recherche d’identité, assument avec plus d’assurance ce qu’ils sont ", ajoute-t-il.
L’écoute des commentaires ou des textes religieux revit avec les moyens de communication modernes - télévision, vidéo, disque compact. En moins de deux ans, sept chaînes de télévision religieuses. " Dans les cinq prochaines années, ce genre va s’étendre, les jeunes générations étant accros au contenu spirituel, yoga ou méditation ", affirme M. Yugantar Saxena, de la chaîne Maharishi. Ces chaînes ont toutes plus ou moins le même contenu, cherchent à rompre avec l’image de chaînes de vieux en visant des audiences plus jeunes. " Avant, les gens pensaient que seulement les vieux regardaient Maharishi, mais maintenant c’est un fait reconnu et accepté que les jeunes ont toujours été intéressés par le fait de connaître leurs racines sociales, spirituelles et culturelles ", ajoute M. Saxena.
Ces chaînes ne se limitent plus à l’Inde, mais visent les Indiens de la diaspora et par là même des marchés nouveaux. Aastha (" croyance ") est par exemple diffusée aux Etats-Unis et le sera bientôt au Canada et en Grande-Bretagne. Les gourous ciblent aussi des publics nouveaux, prêts à payer des sommes importantes pour soulager leur stress ou améliorer leurs performances. " Dans les grandes villes, le programme de sept jours d’un gourou peut se monter à 1 million de roupies - environ 19 000 euros - ", affirme M. Kumar. M. Sanjiv Kakar enseigne d’après les préceptes de Ravi Shankar à des hommes d’affaires anxieux " de développer leurs capacités, d’obtenir un esprit clair pour être à même de prendre de meilleures décisions, de contrôler leur tension ".
Selon la luxueuse brochure de The Art of Living, des compagnies comme American Express, Crédit suisse, Citibank, la Banque mondiale ont envoyé leurs employés suivre le " Programme pour les cadres de société ". Ravi Shankar a des programmes pour toutes les catégories imaginables de publics - femmes, prisonniers, drogués, malades du sida, etc. Des cours sont destinés aux enfants de 8 à 15 ans " pour les éveiller à ce qu’ils sont et au monde dans lequel ils vivent " et aussi aux adolescents " pour leur permettre de relâcher leurs émotions négatives ".
Le phénomène englobe toutes les catégories de la population, des politiques aux acteurs de cinéma en passant par les grands capitalistes. " Sanctionné par les élites, il est devenu un fait commercial ", explique M. Kumar, qui souligne " la compétition engagée entre différents gourous ". Au-delà du commerce, ce regain traduit aussi, selon M. Kumar, " une indication du désenchantement face à la modernité, une recherche de bonheur et de satisfaction ".
A retrouver sur le website du CCMM
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